Après 36 ans à Veaugues, direction Le Noyer pour vous faire découvrir son cadre, son histoire, et aussi quelques billets d'humeur...
Albert Pinson n'a aucune parenté avec Désiré Pinson, photographe à Veaugues. Il coule une retraite paisible à Montigny, et est probablement le dernier employé survivant du Tacot ; je l’ai rencontré en ce mois de janvier 2009, et c’est avec plaisir qu’il m’a livré ses souvenirs de cette époque. Entré le 11 juillet 1946 à la Société Générale des Chemins de Fers Economiques, il y a travaillé jusqu’à l’arrêt définitif de l’exploitation le 15 août 1948. Mr Pinson était chauffeur, c’est-à-dire qu’il alimentait la chaudière de la locomotive avec du charbon.
La loco n° 3517 au dépôt de Veaugues vers 1910 avec une partie du personnel des ateliers. Le Tacot faisait vivre environ 40 familles à Veaugues à son apogée.
Sa journée de travail commençait vers 7h45 quand il se rendait au dépôt de Veaugues pour préparer la loco du train du matin. Le feu était maintenu au ralenti durant la nuit avec du charbon de Buxières, qui brûlait lentement. Il ravivait alors le foyer, puis remplissait la soute à charbon qui se trouvait derrière la cabine au moyen de corbeilles de 30 kg environ, ou avec des briquettes rondes ; la consommation était d’environ 8kg au kilomètre.
Veaugues: le pont du Tacot. On aperçoit en arrière-plan la gare et les ateliers du Tacot.
Il fallait ensuite atteler la rame qui avait été préparée et remisée la veille au soir, puis c’était le départ vers 8h30. Cette heure voyait une activité intense puisque quatre trains s’élançaient ensemble de Veaugues : deux sur la grande ligne vers Cosne et Bourges, et deux Tacots vers La Guerche et Argent ou St-Satur.
Albert Pinson en janvier 2009
Notre homme alternait les voyages vers La Guerche et Argent en principe un jour sur deux. Une fois par semaine, il attelait un train de marchandises vers St-Satur, avec rebroussement à Neuilly - Moulin Jamet. Aller à Argent était un peu plus rapide qu’à La Guerche, bien que la distance ait été la même.
Ces années-là étaient les dernières, et le trafic très faible. Le train se composait alors d’une unique voiture de voyageurs, et d’un fourgon à bagages, dans lequel se tenait le chef de train, qui détachait les wagons et tenait le cahier de route. Un mécanicien, qui réglait l’allure et lubrifiait la mécanique, et un chauffeur étaient nécessaires à la conduite de la locomotive. Les voyageurs se faisaient de plus en plus rares, et il fallait dire au mécanicien où on voulait descendre, afin que le train ne s’arrête pas inutilement ; de même il fallait faire signe au train depuis le quai.
Un train de l'Economique (le Tacot) s'apprête à quitter Veaugues en direction de La Guerche.
On a beaucoup dit sur l’inaptitude du Tacot à gravir les côtes, mais seules celles de Sens-Beaujeu et du Noyer étaient vraiment problématiques, surtout à la fin de l’automne lorsque les feuilles mortes faisaient patiner les roues ! Albert Pinson devait alors procéder au sablage des rails devant les roues, ce qui améliorait l’adhérence et permettait au convoi d’arriver en haut de la côte.
La gare de La Guerche, vue ici avec une automotrice à vapeur Purrey, était le terminus sud de la ligne à laquelle était affecté Albert Pinson.
La ligne de St-Satur ne voyait guère passer plus d’un train de marchandises par semaine, ayant été délaissée par les voyageurs des années plus tôt. Il s’agissait de produits qu’on transbordait sur des péniches au canal, mais aussi de sable de Loire pour les entreprises de maçonnerie du Sancerrois et de silex, qu’on chargeait sur l’embranchement particulier des carrières Vacheron. Ces derniers servaient à l’empierrement des routes et chemins, et étaient répartis dans les gares du parcours.
Partis de Veaugues le matin (8h30), il fallait retourner la machine en gare de Neuilly – Moulin Jamet, car un rebroussement était nécessaire pour emprunter la ligne de St-Satur. Arrivés à Sancerre-Ville, pause-goûter (en fait le déjeuner) ; la pause était suffisante pour que nos sympathiques machinistes aient le temps d’aller saluer leurs copains vignerons dans leurs caves à Sancerre…
Au nord, la ligne s'arrêtait à Argent, situé sur l'artère P-O Paris-Bourges par Les Bordes, ouverte en 1884, et désertée par les trains de voyageurs dès 1940. C'était aussi le terminus du "B-A", ligne à voie métrique du Blanc à Argent.
Entre Sancergues et Argent, il y avait aussi des bestiaux, particulièrement des poulains de la région de Vailly qui étaient vendus pour le trait dans les fermes de la région. Le ciment et la chaux de Beffes constituaient également une bonne part du trafic, et un marchand d’engrais (Picard) recevait des wagons à Sancergues.
Sur le parcours, on trouvait Vailly, village important en raison de ses foires.
Le retour à Veaugues marquait la fin du trajet pour tous les trains, mais pas la fin de la journée de travail. Il fallait en effet remiser la voiture de voyageur sur une des voies situées à gauche de l’atelier, trier les wagons de marchandises suivant leur destination, et former la rame qui devait être attelée le lendemain. Ce n’est qu’après tout cela que Monsieur Pinson pouvait quitter Veaugues, en général entre 17h et 18h.
C'est en rentrant de vacances, que j'ai hélas appris la disparition d'Albert Pinson autour du 15 septembre. C'est une partie de notre mémoire qui s'en est allée, et je remercie son fils Guy de m'avoir permis de le rencontrer.